Dans cet article, vous apprendrez comment Nadège a vécu enfant. Comment elle s’est construite, issue du métissage si fréquent à la Réunion. A force de travail. Pas le choix.

Une famille et de l’amour

Je ne dors pas… J’écoute et j’entends les souffles de notre chambre : trois sœurs dorment dans un lit, le frère tout seul dans un autre. La deuxième chambre est celle de mes parents. Deux chambres, trois lits, pour six personnes : aucun problème avec cette promiscuité fraternelle, aucune ambiguïté !
Nous n’avions pas les moyens d’en faire plus, nous faisions mieux que plus : une fratrie unie, cette immense joie d’être ensemble, et un amour inconditionnel qui liait mon père, ma mère et leur quatre enfant.

Mon père était un grand cafre magnifique, noir, beau, fier ! Muscles noués, port de guerrier, chasseur, pêcheur, et coureur aussi ! Et pauvre !!
Ma mère très belle yab de Mafate, blanche, beauté insolente, et pour sa famille déjà perdue d’être avec un noir !
Au début des années soixante, un noir qui avait une femme blanche aussi belle était considéré comme un sorcier, et elle comme une p…. n !

Le choix de la fierté

Notre famille a vécu avec arrogance sans jamais plier, sans baisser les yeux : nous affichions nos choix de vie avec désinvolture, nous mettions de côté railleries des voisins, et moqueries de la famille : on s’en fichait royalement !
Nous étions fiers d’être nés de ce couple, qui a traversé les préjugés liés à leur couleur et à leur amour maudit.
Et pourquoi ? Parce que nous n’avions que ce choix ! Pour vivre, avancer, pour grandir! Pour exister !

Nous avions quelques fois traversé des périodes plus bénéfiques où l’argent coulait à flot : femmes de ménage, vêtements neufs pour aller à la messe, viande à tous les repas. Notre papa était même revenu un soir à la maison en DS !!! Imaginez la folie ! Et au fil des années, le chômage, la descente aux enfers !

Première bachelière

J’avais seize ans quand mon père est mort : à deux ans de passer mon bac, ma mère s’est vu proposer un poste à la mairie pour moi, à condition qu’elle signe à ma place car j’étais mineure. C’était un poste d’administratif à l’état civil, ce qui était inespéré car il aurait permis à notre famille de manger enfin convenablement !
Ma mère a refusé : je dois passer mon bac, et mon concours pour devenir institutrice.

J’ai été la première bachelière de ma cité et de ma famille !! Je suis devenue enseignante, alors que mes voisins pariaient que je serai bonne ou putain ! Je pense chaque jour à cette période de ma vie qui m’a forgée dans le refus de devenir ce que je ne désirais pas, qui m’apprend encore aujourd’hui à ne pas accepter les chemins tout tracés qui semblent évidents et faciles.

J’ai ce choix.
Nous avons tous le choix !

Nadège BERNON
Juillet 2022
Saint-Leu – Ile de la Réunion

 

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