Tao Te King Traduction de Stephen MitchellTAO TE KING

LE LIVRE DE LA VOIE ET DE LA VERTU

Traduction Stephen Mitchell

Le Tao Te King, le Livre de la Voie et de la Vertu, écrit au VIe siècle avant J.C. par Lao Tseu, est un classique de la sagesse chinoise et l’ouvrage fondateur du taoïsme. C’est un guide intemporel et indispensable à l’art de vivre. Le Tao te King, réconcilie les deux principes universels opposés : le yin, principe féminin, lunaire, froid, obscur, et le yang, principe masculin qui représente l’énergie solaire, la lumière, la chaleur. De leur équilibre et de leur alternance naissent tous les phénomènes de la nature, régis par un principe suprême, le Tao.

Je vous livre ici la traduction de Stephen Mitchell “Un voyage illustré”, radicalement moderne, accessible et poétique, mais il existe aussi celle de Stanislas Julien.
Lire et pratiquer le Tao Te King chaque jour procure un sentiment d’harmonie et de paix.

 

-1-

 

Le tao qui peut être exprimé

n’est pas le Tao éternel.

Le nom qui peut être nommé

n’est pas le Nom éternel.

 

L’indicible est l’éternellement réel.

Nommer est l’origine

de toutes choses particulières.

 

Libre du désir, tu comprends le mystère.

Pris dans le désir, tu ne vois que les manifestations.

 

Pourtant mystère et manifestations

jaillissent de la même source.

Cette source s’appelle ténèbres.

 

Ténèbres dans les ténèbres.

La porte vers toute compréhension.

 

 

-2-

 

Lorsque les gens voient certaines choses comme belles,

d’autres deviennent laides.

Lorsque les gens voient certaines choses comme bonnes,

d’autres deviennent mauvaises.

 

Être et non-être se créent l’un l’autre.

Difficile et facile s’entretiennent l’un l’autre.

Long et court se définissent l’un l’autre.

Haut et bas dépendent l’un de l’autre.

Avant et après se suivent l’un l’autre.

 

Ainsi le Maître

agit sans rien faire

et enseigne sans rien dire.

Les choses apparaissent et il les laisse venir ;

les choses disparaissent et il les laisse partir.

Il a, mais ne possède pas,

agit, mais n’attend rien.

Son oeuvre accomplie, il l’oublie.

C’est pourquoi elle dure toujours.

 

 

-3-

 

Si l’on surestime les grands hommes,

les gens deviennent dépendants.

Si l’on surévalue les biens matériels,

les gens commencent à voler.

 

Le Maître dirige

en vidant l’esprit des gens

et en remplissant leur coeur,

en affaiblissant leur ambition

et en renforçant leur courage.

Il aide chacun à perdre tout

ce qu’il sait, tout ce qu’il désire,

et crée la confusion

chez ceux qui pensent savoir.

 

Pratique le non-agir,

et chaque chose prendra sa place.

 

 

-4-

 

Le Tao est tel un puits :

sans cesse utilisé mais jamais tari.

Il est comme le vide éternel :

empli d’infinies possibilités.

 

Il est caché mais toujours présent.

Je ne sais qui lui a donné naissance.

Il est plus ancien que Dieu.

 

 

-5-

 

Le Tao ne prend pas parti ;

il donne naissance au mal comme au bien.

Le Maître ne prend pas parti ;

il accueille les pécheurs comme les saints.

 

Le Tao est comme un soufflet :

il est vide mais infiniment capable.

Plus tu l’utilises, plus il est fécond ;

plus tu en parles, moins tu le comprends.

 

Reste ancré au centre.

 

 

-6-

 

Le Tao est appelé la Grande Mère :

vide mais inépuisable,

il donne naissance à des mondes infinis.

 

Il est toujours présent en toi.

Tu peux l’utiliser comme bon te semble.

 

 

-7-

 

Le Tao est infini, éternel.

Pourquoi est-il éternel ?

Il n’est jamais né ;

ainsi ne peut-il jamais mourir.

Pourquoi est-il infini ?

Il n’a pas de désirs pour lui-même ;

ainsi est-il présent pour tous les êtres.

 

Le Maître reste en retrait ;

c’est pourquoi il est en avance.

Il est détaché de toutes choses ;

c’est pourquoi il est un avec elles.

Parce qu’il s’est libéré de lui-même,

il est parfaitement accompli.

 

 

-8-

 

Le bien suprême est comme l’eau,

qui nourrit toutes choses sans en avoir l’intention.

Elle se contente des places inférieures

que les autres dédaignent.

Ainsi elle est comme le Tao.

 

En ta demeure, vis près du sol.

En pensées, reste simple.

En conflit, sois juste et généreux.

En gouvernant, n’essaie pas de contrôler.

En travaillant, fais ce que tu aimes.

En famille, sois pleinement présent.

 

Lorsque tu te satisfais d’être simplement toi-même

et ne te compares ni ne te mets en compétition,

tout le monde te respecte.

 

 

-9-

 

Emplis ton bol à ras bord

et il débordera.

Aiguise ton couteau sans relâche

et il s’émoussera.

Cours après l’argent et la sécurité

et ton coeur ne s’apaisera jamais.

Soucie-toi de l’approbation des gens

et tu seras leur prisonnier.

 

Fais ton travail, puis retire-toi.

La seule voie vers la sérénité.

 

 

-10-

 

Peux-tu détourner ton esprit de ses errances

et rester dans l’unicité originelle ?

Peux-tu laisser ton corps devenir souple

comme celui d’un nouveau-né ?

Peux-tu purifier ta vision intime

jusqu’à ne rien voir d’autre que la lumière ?

Peux-tu aimer les gens et les diriger

sans leur imposer ta volonté ?

Peux-tu gérer les affaires les plus vitales

en laissant les événements suivre leur cours ?

Peux-tu te distancier de ton propre esprit

et ainsi comprendre toutes choses ?

 

Donner naissance et nourrir,

avoir sans posséder,

agir sans rien attendre,

diriger sans tenter de contrôler :

ceci est la suprême vertu.

 

 

-11-

 

Nous joignons des rayons pour en faire une roue,

mais c’est le vide du moyeu

qui permet au chariot d’avancer.

 

Nous modelons de l’argile pour en faire un vase,

mais c’est le vide au-dedans

qui retient ce que nous y versons.

 

Nous clouons du bois pour en faire une maison,

mais c’est l’espace intérieur

qui la rend habitable.

 

Nous travaillons avec l’être,

mais c’est du non-être dont nous avons l’usage.

 

 

-12-

 

Les couleurs aveuglent l’oeil.

Les sons assourdissent l’oreille.

Les saveurs engourdissent le palais.

Les pensées affaiblissent l’esprit.

Les désirs fanent le coeur.

 

Le Maître observe le monde

mais fait confiance à sa vision intérieure.

Il laisse les choses aller et venir.

Son coeur est ouvert comme le ciel.

 

 

-13-

 

Le succès est aussi dangereux que l’échec.

L’espoir est aussi vain que la peur.

Que signifie: «le succès est aussi dangereux que l’échec»?

Que tu montes ou descendes l’échelle,

ta position est instable.

Lorsque tu as les deux pieds sur le sol,

tu gardes toujours ton équilibre.

 

Que signifie: « l’espoir est aussi vain que la peur » ?

Espoir et peur sont des fantômes

qui naissent de la préoccupation de soi.

Quand nous ne voyons pas le soi comme soi,

qu’avons-nous à craindre ?

 

Vois le monde comme toi-même.

Fais confiance à la vie telle qu’elle est.

Aime le monde comme toi-même ;

alors tu pourras prendre soin de toutes choses.

 

 

-14-

 

Regarde, et tu ne peux le voir.

Écoute, et tu ne peux l’entendre.

Tends la main, et tu ne peux le saisir.

 

En haut, il n’est pas lumineux.

En bas, il n’est pas sombre.

Complet, indicible,

il retourne au royaume du rien.

Forme qui comprend toutes formes,

image sans aucune image,

subtil, au-delà de toute conception.

 

Approche-le et il n’est pas de début ;

suis-le et il n’est pas de fin.

Tu ne peux le connaître, mais tu peux l’être,

sans effort dans ta propre vie.

Comprends simplement d’où tu viens :

ceci est l’essence de la sagesse.

 

 

-15-

 

Les anciens Maîtres étaient profonds et subtils.

Leur sagesse était insondable.

Il est impossible de la décrire ;

tout ce que l’on peut décrire, c’est leur apparence.

 

Ils étaient prudents

comme quelqu’un traversant un ruisseau gelé.

Alertes comme un guerrier en territoire ennemi.

Courtois comme un invité.

Fluides comme la glace fondante.

Modelables comme une pièce de bois brut.

Accueillants comme une vallée.

Clairs comme un verre d’eau.

 

As-tu la patience d’attendre

jusqu’à ce que ta boue se dépose et que l’eau soit claire?

Peux-tu rester immobile

jusqu’à ce que l’action juste survienne d’elle-même ?

 

Le Maître ne recherche pas l’accomplissement.

Ne recherchant rien, n’attendant rien,

il est présent et peut accueillir toutes choses.

 

 

-16-

 

Vide ton esprit de toute pensée.

Laisse ton coeur être en paix.

Observe l’agitation des êtres,

mais contemple leur retour.

 

Chaque être distinct dans l’univers

revient à la source commune.

Revenir à la source, c’est la sérénité.

 

Si tu ne prends pas conscience de la source,

tu t’enfonces dans la confusion et la tristesse.

Quand tu comprends d’où tu viens,

tu deviens naturellement tolérant,

désintéressé, amusé,

bienveillant comme une grand-mère,

digne comme un roi.

Immergé dans la merveille du Tao,

tu peux faire face à tout ce que la vie t’apporte,

et quand vient la mort, tu es prêt.

 

 

-17-

 

Quand le Maître gouverne, les gens

ont à peine conscience qu’il existe.

À défaut, le mieux est un dirigeant qu’on aime.

Puis encore, un qu’on craint.

Le pire est un dirigeant qu’on méprise.

 

Si tu ne donnes pas de responsabilités aux gens,

tu les rends irresponsables.

 

Le Maître ne parle pas, il agit.

Quand son oeuvre est achevée,

les gens disent : « Regarde !

C’est nous qui l’avons fait, tout seuls ! »

 

 

-18-

 

Quand le grand Tao est oublié,

la bonté et la piété apparaissent.

Quand l’intelligence du corps décline,

l’ingéniosité et la connaissance se montrent.

Quand il n’y aucune paix dans la famille,

la piété filiale commence.

Quand le pays sombre dans le chaos,

naît le patriotisme.

 

 

-19-

 

Laisse tomber la sagesse et la sainteté,

et les gens seront cent fois plus heureux.

Laisse tomber la moralité et la justice,

et les gens feront ce qui est juste.

Laisse tomber l’industrie et le profit,

et il n’y aura pas de voleurs.

 

Si ces trois actions sont insuffisantes,

reste simplement au centre du cercle

et laisse toutes choses suivre leurs cours.

 

 

-20-

 

Arrête de penser, et finis-en avec tes problèmes.

Quelle différence y a-t-il entre oui et non ?

Quelle différence y a-t-il entre succès et échec ?

Dois-tu estimer ce qu’estiment les autres,

éviter ce que les autres évitent ?

Ridicule !

 

Les autres sont excités

comme s’ils étaient à la parade.

Moi seul suis indifférent,

moi seul suis sans expression

comme un nouveau-né avant qu’il ne sache sourire.

 

Les autres ont ce qu’ils veulent.

Moi seul ne possède rien.

 

Moi seul vais à la dérive,

comme quelqu’un sans foyer.

Je suis tel l’idiot, mon esprit est si vide.

 

Les autres sont lumineux ;

moi seul suis sombre.

Les autres sont vifs ;

moi seul suis insipide.

Les autres ont une raison d’être ;

moi seul ne sais pas.

Je dérive comme une vague sur l’océan,

je voyage sans but, comme souffle le vent.

 

Je suis différent des autres.

Je bois au sein de la Grande Mère.

 

 

-21-

 

Le Maître conserve son esprit

à jamais un avec le Tao ;

c’est ce qui lui confère son éclat.

 

Le Tao est insaisissable.

Comment son esprit peut-il être un avec lui ?

Parce que le Maître ne s’attache pas aux idées.

 

Le Tao est sombre et insondable.

Comment peut-il le faire rayonner ?

Parce que le Maître le laisse faire.

 

Depuis bien avant que le temps et l’espace ne fussent,

le Tao est.

Il est au-delà du est et du n’est pas.

Comment sais-je que cela est vrai ?

Je regarde en moi et je vois.

 

 

-22-

 

Si tu veux être entier,

laisse-toi être partiel.

Si tu veux être droit,

laisse-toi être tordu.

Si tu veux être plein,

laisse-toi être vide.

Si tu veux renaître,

laisse-toi mourir.

Si tu veux que tout te soit offert,

renonce à tout ce que tu as.

 

Le Maître, en demeurant dans le Tao,

crée un exemple pour tous les êtres.

Parce qu’il ne s’expose pas,

les gens peuvent voir sa lumière.

Parce qu’il n’a rien à prouver,

les gens peuvent se fier à sa parole.

Parce qu’il ne sait pas qui il est,

les gens se reconnaissent en lui.

Parce qu’il n’a aucun but,

tout ce qu’il fait réussit.

 

Quand les anciens Maîtres disaient :

« Si tu veux que tout te soit offert,

renonce à tout ce que tu as »,

ce n’étaient pas de vains mots.

Seul en étant vécu par le Tao

peux-tu être vraiment toi-même.

 

 

-23-

 

Exprime-toi complètement,

puis reste silencieux.

Sois comme les forces de la nature :

quand ça souffle, il n’y a que le vent ;

quand il pleut, il n’y a que la pluie ;

quand les nuages passent, le soleil brille.

 

Si tu t’ouvres au Tao,

tu es un avec le Tao

et tu peux l’incarner pleinement.

Si tu t’ouvres à la vision intime,

tu es un avec la vision intime,

et tu peux l’utiliser pleinement.

Si tu t’ouvres à la perte,

tu es un avec la perte

et tu peux l’accepter pleinement.

 

Ouvre-toi au Tao,

puis fais confiance à tes réponses naturelles ;

et tout prendra sa place.

 

 

-24-

 

Celui qui se dresse sur la pointe des pieds

n’est pas stable.

Celui qui se précipite en avant

ne va pas loin.

Celui qui essaie de briller

ternit sa propre lumière.

Celui qui se définit

ne peut savoir qui il est réellement.

Celui qui exerce son pouvoir sur les autres

se prive de son véritable pouvoir.

Celui qui s’attache à son oeuvre

ne crée rien de durable.

 

Si tu veux être en accord avec le Tao,

fais simplement ton travail, puis lâche prise.

 

-25-

 

Il y avait quelque chose de sans forme et de parfait

avant que l’univers ne fût né.

Serein. Vide.

Solitaire. Immuable.

Infini. Éternellement présent.

C’est la mère de l’univers.

À défaut d’un meilleur nom,

je l’appelle le Tao.

 

Il s’écoule à travers toutes choses,

au-dedans, au-dehors, et revient

à l’origine de toutes choses.

 

Le Tao est grand.

L’univers est grand.

La terre est grande.

L’homme est grand.

Ce sont les quatre grandes puissances.

 

L’homme se règle sur la terre.

La terre se règle sur l’univers.

L’univers se règle sur le Tao.

Le Tao ne se règle que sur lui-même.

 

 

-26-

 

Le lourd est la racine du léger.

L’immobile est la source de tout mouvement.

 

Ainsi le Maître voyage tout le jour

sans quitter sa demeure.

Aussi splendides soient les vues,

il reste sereinement en lui-même.

 

Pourquoi le seigneur du pays

devrait-il aller et venir comme un fou ?

Si tu te laisses ballotter de-ci de-là,

tu perds le contact avec la source.

Si tu laisses l’agitation te gouverner,

tu perds le contact avec qui tu es.

 

 

-27-

 

Un bon voyageur n’a pas de plans fixes

et n’est pas tendu vers l’arrivée.

Un bon artiste laisse son intuition

le mener là où elle le souhaite.

Un bon scientifique s’est libéré des concepts

et garde l’esprit ouvert à ce qui est.

 

Ainsi le Maître est disponible pour tous

et ne rejette personne.

Il est prêt à tirer parti de toutes les situations

et ne gâche rien.

Cela s’appelle incarner la lumière.

 

Qu’est-ce qu’un homme bon

sinon un exemple pour l’homme mauvais ?

Qu’est-ce qu’un homme mauvais

sinon une opportunité pour l’homme bon ?

Si tu ne comprends pas cela, tu te perdras,

aussi intelligent sois-tu.

C’est le grand secret.

 

 

-28-

 

Connais le viril,

mais tiens-t’en au féminin :

accueille le monde à bras ouvert.

Si tu accueilles le monde,

jamais le Tao ne te laissera

et tu seras comme un petit enfant.

 

Connais le blanc,

mais tiens-t’en au noir :

sois un modèle pour le monde.

Si tu es un modèle pour le monde,

le Tao sera fort en toi,

et rien ne te sera impossible.

 

Connais le personnel,

mais tiens-t’en à l’impersonnel :

accepte le monde tel qu’il est.

Si tu acceptes le monde,

le Tao sera lumineux en toi

et tu retourneras à ton être originel.

 

Le monde est issu du vide,

comme les ustensiles sont issus d’un bloc de bois.

Le Maître connaît les ustensiles,

mais s’en tient au bloc :

ainsi peut-il utiliser toutes choses.

 

 

-29-

 

Souhaites-tu rendre le monde meilleur ?

Je ne pense pas que cela puisse se faire.

 

Le monde est parfait.

On ne peut le rendre meilleur.

Si tu es négligent envers lui, tu le détruiras.

Si tu le traites comme un objet, tu le perdras.

 

Il y a un temps pour être devant,

un temps pour être derrière ;

un temps pour être en mouvement,

un temps pour être au repos ;

un temps pour être vigoureux,

un temps pour être épuisé ;

un temps pour être en sécurité ;

un temps pour être en danger.

 

Le Maître voit les choses comme elles sont,

sans tenter de les contrôler.

Il les laisse suivre leur cours,

et demeure au centre du cercle.

 

 

30

 

Qui fait confiance au Tao pour gouverner les hommes

n’essaie pas de forcer les choses

ou de défaire ses ennemis par la force des armes.

À toute force, il y a une force opposée.

La violence, même bien intentionnée,

frappe toujours en retour.

 

Le Maître fait son travail,

puis s’arrête.

Il comprend que l’univers

est à jamais hors de contrôle,

et qu’essayer de dominer les événements

va contre le courant du Tao.

Parce qu’il croit en lui-même,

il n’essaie pas de convaincre les autres.

Parce qu’il se satisfait de lui-même,

il n’a pas besoin de l’approbation des autres.

Parce qu’il s’accepte lui-même,

le monde entier l’accepte.

 

 

31

 

Les armes sont les instruments de la violence ;

tous les hommes honnêtes les détestent.

 

Les armes sont les instruments de la peur ;

un homme honnête les évitera

sauf en cas d’extrême nécessité,

et, s’il y est forcé, ne les utilisera

qu’avec la plus grande retenue.

La paix est sa plus haute valeur.

Si la paix est brisée,

comment peut-il être satisfait ?

Ses ennemis ne sont pas des démons,

mais des êtres humains comme lui.

Il ne leur souhaite pas de mal personnellement

ni ne se réjouit dans la victoire.

Comment pourrait-il se réjouir dans la victoire

et trouver plaisir dans le massacre des hommes ?

 

Il entre dans la bataille gravement,

avec tristesse et grande compassion,

comme s’il se rendait à des funérailles.

 

 

32

 

Le Tao ne peut être perçu.

Plus petit qu’un électron,

il contient d’innombrables galaxies.

 

Si les puissants et les puissantes

pouvaient rester centrés dans le Tao,

toutes choses seraient en harmonie.

Le monde deviendrait un paradis.

Les gens seraient en paix

et la loi serait inscrite dans les coeurs.

 

Quant aux noms et aux formes,

sache qu’ils sont provisoires.

Quant aux institutions,

sache reconnaître où leur rôle doit finir.

Sachant quand t’arrêter,

tu peux éviter n’importe quel danger.

 

Toutes choses finissent dans le Tao

comme les rivières se jettent dans la mer.

 

 

33

 

Connaître les autres est intelligence ;

se connaître soi-même est la vraie sagesse.

Maîtriser les autres est force ;

se maîtriser soi-même est le vrai pouvoir.

 

Si tu comprends que tu as suffisamment,

tu es vraiment riche.

Si tu restes au centre

et acceptes la mort de tout ton cœur,

tu vivras toujours.

 

 

34

 

Le grand Tao coule partout.

Toutes choses naissent de lui,

mais il ne les crée pas.

Il s’investit totalement dans son oeuvre,

mais ne la revendique pas.

Il nourrit des mondes infinis,

mais ne s’y attache pas.

Puisqu’il est fondu en toutes choses

et caché en leurs cœurs,

on peut le dire humble.

Puisque toutes choses se dissolvent en lui

et que lui seul perdure,

on peut le dire grand.

Il n’est pas conscient de sa grandeur ;

ainsi est-il vraiment grand.

 

 

35

 

Celui qui est centré dans le Tao

peut aller où il le désire, sans danger.

Il perçoit l’harmonie universelle,

même au milieu d’une grande douleur,

car il a trouvé la paix dans son cœur.

 

Une musique ou le fumet d’un bon plat

peut amener des gens à s’arrêter et à y prendre plaisir.

Mais les mots qui mènent au Tao

semblent monotones et sans saveur.

Quand tu le cherches, il n’y a rien à voir.

Quand tu l’écoutes, il n’y a rien à entendre.

Quand tu l’utilises, il est inépuisable.

 

 

36

 

Si tu veux réduire une chose,

permets-lui d’abord de grandir.

Si tu veux te débarrasser de quelque chose,

permets-lui d’abord de s’épanouir.

Si tu veux prendre quelque chose,

permets-lui d’abord d’être donné.

Cela s’appelle la perception subtile

de la réalité telle qu’elle est.

 

Le doux triomphe du dur.

Le lent triomphe du rapide.

Que tes méthodes demeurent un mystère.

N’en montre aux autres que les résultats.

 

 

37

 

Le Tao ne fait jamais rien ;

pourtant à travers lui toutes choses se font.

 

Si les puissants et les puissantes

pouvaient se centrer en lui,

le monde entier se transformerait

de lui-même, dans ses rythmes naturels.

Les gens seraient heureux

de leur vie quotidienne,

en harmonie et libres de tout désir.

 

Quand il n’y a pas de désir,

toutes choses sont en paix.

 

 

38

 

Le Maître ne court pas après le pouvoir ;

ainsi est-il vraiment puissant.

L’homme ordinaire est tendu vers le pouvoir ;

ainsi n’en a-t-il jamais assez.

 

Le Maître ne fait rien,

mais ne laisse rien d’inachevé.

L’homme ordinaire sans cesse fait des choses,

mais il en reste toujours plus à faire.

 

L’homme bienveillant fait quelque chose,

mais quelque chose demeure inachevé.

L’homme juste fait quelque chose,

et laisse de nombreuses choses à faire.

L’homme moral fait quelque chose,

et quand personne ne réagit,

il retrousse ses manches et utilise la violence.

 

Quand le Tao se perd, il y a la bienveillance.

Quand la bienveillance se perd, il y a la morale.

Quand la morale se perd, il y a le rite.

Le rite est l’enveloppe de la vraie foi,

le début du chaos.

 

Ainsi le Maître s’occupe de la profondeur et non de la surface,

du fruit et non de la fleur.

Il n’a pas de volonté propre.

Il vit dans la réalité,

et laisse toutes illusions passer.

 

 

39

 

En harmonie avec le Tao,

le ciel est clair et vaste,

la terre est ferme et fertile,

les êtres prospèrent ensemble,

satisfaits de ce qu’ils sont,

se multipliant sans cesse,

sans cesse renouvelés.

 

Quand l’homme interfère avec le Tao,

le ciel devient sale,

la terre s’épuise,

les espèces s’éteignent,

l’équilibre se désagrège.

 

Le Maître voit chaque partie avec compassion,

parce qu’il comprend le tout.

Il pratique constamment l’humilité.

Il ne brille pas comme un joyau

mais se laisse modeler par le Tao,

aussi rugueux et commun qu’une pierre.

 

 

40

 

Le retour est le mouvement du Tao.

Céder est la voie du Tao.

 

Toutes choses naissent de l’être.

L’être naît du non-être.

 

 

 

41

 

Quand un homme supérieur entend parler du Tao,

il commence tout de suite à l’incarner.

Quand un homme ordinaire entend parler du Tao,

il y croit à moitié et en doute à moitié.

Quand un homme sot entend parler du Tao,

il en rit à gorge déployée.

S’il n’en riait pas,

ce ne serait pas le Tao.

 

Ainsi est-il dit :

le chemin vers la lumière paraît sombre,

le chemin qui avance semble reculer,

le chemin direct semble long,

le vrai pouvoir semble faible,

la vraie pureté semble ternie,

la vraie constance semble changeante,

la vraie clarté semble obscure,

le plus grand art semble naïf,

le plus grand amour semble indifférent,

la plus grande sagesse semble puérile.

 

Le Tao ne se trouve nulle part,

pourtant il nourrit et complète toutes choses.

 

 

42

 

Le Tao donne naissance à l’Un.

L’Un donne naissance au Deux.

Le Deux donne naissance au Trois.

Le Trois donne naissance à toutes choses.

 

Toutes choses sont adossées au féminin

et font face au masculin.

Quand masculin et féminin se rejoignent,

toutes choses s’harmonisent.

 

Les hommes ordinaires détestent la solitude.

Mais le Maître s’en sert,

l’embrassant, comprenant

qu’il est un avec l’univers.

 

 

43

 

La chose la plus douce au monde

triomphe de la chose la plus dure au monde.

Ce qui n’a pas de substance

pénètre là où il n’est pas d’espace.

Cela montre la valeur de la non-action.

 

Enseigner sans paroles,

accomplir sans actions :

telle est la voie du Maître.

 

 

44

 

Gloire ou intégrité : quel est le plus important ?

Argent ou bonheur : lequel a le plus de valeur ?

Succès ou échec : lequel est le plus destructeur ?

 

Si tu attends des autres ton épanouissement,

tu ne seras jamais véritablement comblé.

Si ton bonheur dépend de l’argent,

tu ne seras jamais heureux avec toi-même.

 

Sois content de ce que tu as ;

réjouis-toi de la réalité telle qu’elle est.

Quand tu comprends que rien ne manque,

le monde entier t’appartient.

 

 

45

 

La vraie perfection semble imparfaite,

mais elle est parfaitement elle-même.

La vraie plénitude semble vide,

mais elle est pleinement présente.

 

La vraie droiture semble tortueuse.

La vraie sagesse semble folle.

La vraie profondeur semble ingénue.

 

Le Maître permet aux choses d’arriver.

Il façonne les événements comme ils viennent.

Il fait deux pas en arrière

et laisse le Tao parler pour lui-même.

 

 

46

 

Quand un pays est en harmonie avec le Tao,

les usines produisent des biens et des outils.

Quand un pays va à l’encontre du Tao,

les armes s’entassent aux portes de ses villes.

 

Il n’y a pas de plus grande illusion que la peur,

pas de plus grande erreur que de se préparer à se défendre,

pas de plus grande infortune que de croire avoir un ennemi.

 

Qui peut voir au-delà de toute peur

est toujours en sécurité.

 

 

47

 

Sans ouvrir ta porte,

tu peux ouvrir ton cœur au monde.

Sans regarder par ta fenêtre,

tu peux voir l’essence du Tao.

 

Plus tu sais,

moins tu comprends.

 

Le Maître arrive sans partir,

voit la lumière sans regarder,

accomplit sans rien faire.

 

 

48

 

Dans la recherche du savoir,

chaque jour quelque chose est ajouté.

Dans la pratique du Tao,

chaque jour quelque chose est lâché.

De moins en moins as-tu besoin de forcer les choses,

jusqu’à ce que finalement tu parviennes à la non-action.

Quand rien n’est fait,

rien n’est inachevé.

 

La vraie maîtrise peut être gagnée

en laissant les choses suivre leur cours.

Elle ne peut être gagnée en interférant.

 

 

49

 

Le Maître n’a pas d’esprit en propre.

Il travaille avec l’esprit des gens.

 

Il est bon avec ceux qui sont bons.

Il est également bon

avec ceux qui ne sont pas bons.

Ceci est la vraie bonté.

 

Il fait confiance à ceux qui sont dignes de confiance.

Il fait également confiance

à ceux qui ne sont pas dignes de confiance.

Ceci est la vraie confiance.

 

L’esprit du Maître est comme l’espace.

Les gens ne le comprennent pas.

Ils se tournent vers lui et attendent.

Le Maître les traite comme ses propres enfants.

 

 

50

 

Le Maître se donne

à tout ce que l’instant apporte.

Il sait qu’il va mourir,

et rien ne lui reste à quoi s’agripper :

pas d’illusions dans l’esprit,

pas de résistances dans le corps.

Il ne réfléchit pas à ses actions ;

elles jaillissent de la profondeur de son être.

Il ne refuse rien de la vie ;

ainsi est-il prêt pour la mort,

comme un homme est prêt à dormir

après une bonne journée de travail.

 

 

51

 

Chaque être dans l’univers

est une expression du Tao.

Il jaillit dans l’existence

inconscient, parfait, libre,

assume un corps physique,

laisse les circonstances le compléter.

C’est pourquoi chaque être,

spontanément, honore le Tao.

 

Le Tao donne naissance à tous les êtres,

les nourrit, les soutient,

prend soin d’eux, les réconforte, les protège,

les ramène à lui-même,

créant sans posséder,

agissant sans rien attendre,

guidant sans contrôler.

C’est pourquoi l’amour du Tao

est dans la nature même des choses.

 

 

52

 

Chaque être dans l’univers

est une expression du Tao.

Il jaillit dans l’existence

inconscient, parfait, libre,

assume un corps physique,

laisse les circonstances le compléter.

C’est pourquoi chaque être,

spontanément, honore le Tao.

 

Le Tao donne naissance à tous les êtres,

les nourrit, les soutient,

prend soin d’eux, les réconforte, les protège,

les ramène à lui-même,

créant sans posséder,

agissant sans rien attendre,

guidant sans contrôler.

C’est pourquoi l’amour du Tao

est dans la nature même des choses.

 

 

53

 

La grande Voie est simple,

mais les gens préfèrent les chemins détournés.

Sois conscient lorsque les choses sont déséquilibrées.

Reste centré dans le Tao.

 

Quand de riches spéculateurs prospèrent

alors que les paysans perdent leurs terres ;

quand le gouvernement dépense de l’argent

en armes plutôt qu’en remèdes ;

quand la classe supérieure est extravagante et irresponsable

alors que les pauvres n’ont nulle part où se tourner –

tout cela est vol et chaos.

Ce n’est pas être en accord avec le Tao.

 

 

54

 

Qui est campé dans le Tao

ne peut être déraciné.

Qui étreint le Tao

ne peut être anéanti.

Son nom sera honoré

de génération en génération.

 

Laisse le Tao s’exprimer dans ta vie

et tu seras authentique.

Laisse-le s’exprimer dans ta famille

et ta famille s’épanouira.

Laisse-le s’exprimer dans ton pays

et ton pays sera un exemple

pour tous les pays du monde.

Laisse-le s’exprimer dans l’univers

et l’univers chantera.

 

Comment sais-je que cela est vrai ?

Je regarde en moi-même.

 

 

55

 

Qui est en harmonie avec le Tao

est comme un nouveau-né.

Ses os sont souples, ses muscles sont faibles,

mais sa poigne est puissante.

Il ne sait rien de l’union

de l’homme et de la femme,

mais son pénis peut être en érection,

si intense est son énergie vitale.

Il peut crier à tue-tête toute la journée,

mais sa voix n’en devient jamais rauque,

si complète est son harmonie.

 

Le pouvoir du Maître est ainsi.

Il laisse toutes choses aller et venir

sans effort, sans désir.

Il n’attend jamais de résultats ;

ainsi n’est-il jamais déçu.

Parce qu’il n’est jamais déçu,

son esprit ne vieillit jamais.

 

 

56

 

Ceux qui savent ne parlent pas.

Ceux qui parlent ne savent pas.

 

Garde la bouche close,

bloque tes sens,

émousse ton tranchant,

délie tes noeuds,

adoucis ton regard,

laisse ta poussière se déposer.

Ceci est l’identité originelle.

 

Sois comme le Tao.

On ne peut l’approcher ou s’en éloigner,

l’avantager ou lui nuire,

l’honorer ou le faire tomber en disgrâce.

Il s’abandonne continuellement.

C’est pourquoi il perdure.

 

 

57

 

Si tu veux être un grand dirigeant,

apprends à suivre le Tao.

N’essaie pas de contrôler.

Laisse tomber les plans et les concepts,

et le monde se gouvernera lui-même.

 

Plus tu imposes d’interdictions,

moins les gens seront vertueux.

Plus tu as d’armes,

moins les gens seront en sécurité.

Plus tu mets en place d’assistance,

moins les gens seront autonomes.

 

C’est pourquoi le Maître dit :

je laisse tomber la loi,

et les gens deviennent honnêtes.

Je laisse tomber l’économie,

et les gens deviennent prospères.

Je laisse tomber la religion,

et les gens deviennent sereins.

Je laisse tomber tout désir pour le bien commun,

et le bien devient aussi commun que l’herbe.

 

 

58

 

Si l’on gouverne un pays avec tolérance,

les gens sont tranquilles et honnêtes.

Si l’on gouverne un pays par la répression,

les gens sont déprimés et retors.

 

Quand la volonté de pouvoir domine,

plus grands sont les idéaux, plus petits sont les résultats.

Essaie de rendre les gens heureux,

et tu poses les fondements de la misère.

Essaie de rendre les gens vertueux,

et tu poses les fondements du vice.

 

Ainsi, le Maître se contente

de servir d’exemple

et de ne pas imposer sa volonté.

Il est pointu, mais ne perce pas.

Direct, mais souple.

Radieux, sans éblouir.

 

 

59

 

Pour bien gouverner un pays,

il n’est rien de mieux que la modération.

 

La marque d’un homme modéré

est sa liberté envers ses propres idées.

Tolérant comme le ciel,

pénétrant comme la lumière du soleil,

solide comme la montagne,

souple comme l’arbre dans le vent,

il n’a pas de destination en vue

et tire parti de tout ce que la vie

vient à mettre sur son chemin.

 

Rien ne lui est impossible.

Parce qu’il a lâché prise,

il peut s’occuper du bien-être des gens

comme une mère s’occupe de son enfant.

 

 

60

 

Gouverner un grand pays

est comme frire un petit poisson.

Tu le gâtes en le faisant trop cuire.

 

Centre ton pays dans le Tao

et le mal n’aura aucun pouvoir.

Non qu’il ne soit pas là,

mais tu pourras t’écarter de son chemin.

 

Ne donne au mal rien à quoi s’opposer

et il disparaîtra de lui-même.

 

 

61

 

Quand un pays obtient une grande puissance,

il devient comme la mer :

toutes les rivières viennent s’y jeter.

Plus il devient puissant,

plus grand est le besoin d’humilité.

L’humilité, c’est avoir confiance dans le Tao,

et ainsi ne jamais avoir besoin de se défendre.

 

Une grande nation est comme un grand homme:

quand il fait une erreur, il s’en rend compte.

S’en étant rendu compte, il l’admet.

L’ayant admis, il la corrige.

Il considère ceux qui lui montrent ses fautes

comme ses guides les plus bienveillants.

Il considère son ennemi

comme l’ombre que lui-même projette.

 

Si une nation est centrée dans le Tao,

si elle nourrit ses citoyens

et ne se mêle pas des affaires des autres,

elle sera une lumière pour toutes les nations du monde.

 

 

62

 

Le Tao est le centre de l’univers,

le trésor de l’homme bon,

le refuge de l’homme mauvais.

 

Les honneurs peuvent s’acheter avec des mots habiles,

le respect peut se gagner avec de bonnes actions ;

mais le Tao est au-delà de toute valeur,

et personne ne peut l’acquérir.

 

Ainsi, quand on choisit un nouveau dirigeant,

n’offre pas de l’aider

avec tes richesses ou ton expertise.

Offre plutôt

de l’instruire au sujet du Tao.

 

Pourquoi les anciens Maîtres estimaient-ils le Tao?

Parce qu’en étant un avec le Tao,

lorsque tu cherches, tu trouves,

et lorsque tu fais une erreur, tu es pardonné.

C’est pourquoi il est aimé de tous.

 

 

63

 

Agis sans faire ;

travaille sans effort.

Considère les petites choses comme si elles étaient grandes

et les choses peu nombreuses comme abondantes.

Affronte le difficile

tant qu’il est encore facile ;

accomplis la grande œuvre

par une série de petites actions.

 

Le Maître ne cours jamais après le grand ;

ainsi atteint-il la grandeur.

Quand il rencontre une difficulté,

il s’arrête et il s’y consacre.

Il ne s’accroche pas à son propre confort ;

ainsi les problèmes ne sont pas un problème pour lui.

 

 

64

 

Ce qui a pris racine est facile à nourrir.

Ce qui est récent est facile à corriger.

Ce qui est fragile est facile à briser.

Ce qui est petit est facile à disperser.

 

Préviens le malheur avant qu’il ne survienne.

Mets les choses en ordre avant qu’elles n’existent.

Le pin géant

grandit à partir d’une petite pousse.

Le voyage de mille lieues

commence avec le premier pas.

 

En te précipitant dans l’action, tu échoues.

En essayant de saisir les choses, tu les perds.

En forçant un projet à s’achever,

tu gâtes ce qui était presque mûr.

 

Ainsi le Maître agit

en laissant les choses suivre leur cours.

Il demeure aussi calme

à la fin qu’au début.

Il n’a rien,

et n’a donc rien à perdre.

Ce qu’il désire est le non-désir ;

ce qu’il apprend, c’est à désapprendre.

Il rappelle simplement aux gens

qui ils ont toujours été.

Il ne se soucie de rien excepté du Tao.

Ainsi peut-il prendre soin de toutes choses.

 

 

65

 

Les Maîtres anciens

n’essayaient pas d’instruire les gens,

mais leur enseignaient à ne pas savoir.

 

Quand ils pensent connaître les réponses,

les gens sont difficiles à guider.

Quand ils savent qu’ils ne savent pas,

les gens peuvent trouver leur propre voie.

 

Si tu veux apprendre à gouverner,

évite d’être riche ou astucieux.

Le modèle le plus simple est le plus clair.

Satisfait d’une vie ordinaire,

à tous, tu peux montrer la voie

pour retourner à leur vraie nature.

 

 

66

 

Tous les fleuves se jettent dans la mer

parce qu’elle est plus basse qu’ils ne sont.

L’humilité lui confère sa puissance.

 

Si tu veux gouverner les gens,

tu dois te placer au-dessous d’eux.

Si tu veux mener les gens,

tu dois apprendre à les suivre.

 

Le Maître est au-dessus des gens

et personne ne se sent opprimé.

Il guide les gens

et personne ne se sent manipulé.

Le monde entier lui est reconnaissant.

Parce qu’il n’est en rivalité avec personne,

personne ne peut rivaliser avec lui.

 

 

67

 

Certains disent que mon enseignement est absurde.

D’autres le disent sublime mais impraticable.

Mais pour ceux qui ont regardé en eux-mêmes,

cette absurdité fait parfaitement sens.

Et pour ceux qui le mettent en pratique,

cette sublimité a des racines profondes.

 

Je n’ai que trois choses à enseigner :

la simplicité, la patience, la compassion.

Toutes trois sont tes plus grands trésors.

Simple en actions et en pensées,

tu retournes à la source de l’être.

Patient avec tes ennemis comme avec tes amis,

tu te mets en accord avec la réalité.

Compatissant envers toi-même,

tu réconcilies tous les êtres du monde.

 

 

68

 

Le meilleur athlète

veut son adversaire au meilleur de sa forme.

Le meilleur général

pénètre l’esprit de son ennemi.

Le meilleur homme d’affaires

sert le bien commun.

Le meilleur dirigeant

suit la volonté du peuple.

 

Chacun d’eux incarne

la vertu de la non-compétition.

Non qu’ils n’aiment rivaliser,

mais ils le font dans l’esprit du jeu.

En cela ils sont comme des enfants

et en harmonie avec le Tao.

 

 

69

 

Les généraux ont un adage :

« Plutôt que faire mouvement le premier,

mieux vaut attendre et observer.

Plutôt que d’avancer d’un pouce,

mieux vaut reculer d’un pas. »

 

On appelle cela

progresser sans avancer,

repousser sans utiliser d’armes.

 

Il n’est pas de plus grand malheur

que sous-estimer ton ennemi.

Sous-estimer ton ennemi

revient à penser qu’il est mauvais.

Tu détruis ainsi tes trois trésors

et deviens toi-même un ennemi.

 

Quand deux grandes forces s’opposent,

la victoire va

à celui qui a appris à céder.

 

 

70

 

Mes enseignements sont simples à comprendre

et simples à mettre en pratique.

Pourtant ta raison ne les saisira jamais,

et si tu essaies de les mettre en pratique, tu échoueras.

 

Mes enseignements sont plus anciens que le monde.

Comment pourrais-tu en saisir le sens ?

 

Si tu veux me connaître,

regarde dans ton cœur.

 

 

71

 

Ne pas savoir est la vraie connaissance.

Présumer savoir est une maladie.

Prends d’abord conscience que tu es malade ;

alors tu pourras recouvrer la santé.

 

Le Maître est son propre médecin.

Il s’est guéri de tout savoir,

ainsi est-il véritablement sain.

 

 

72

 

Quand ils perdent leur sens du merveilleux,

les gens se tournent vers la religion.

Quand ils n’ont plus confiance en eux-mêmes,

ils commencent à dépendre de l’autorité.

 

C’est pourquoi le Maître se met en retrait,

afin que les gens ne s’écartent pas de leur voie.

Il enseigne sans enseigner,

pour que les gens n’aient rien à apprendre.

 

 

73

 

Le Tao est toujours serein.

Il vainc sans lutter,

répond sans dire un mot,

arrive sans avoir été appelé,

accomplit sans dessein.

 

Son filet couvre l’univers entier.

Et bien que ses mailles soient larges,

il ne laisse rien échapper.

 

 

74

 

Si tu comprends que tout change,

il n’est rien auquel tu tenteras de t’attacher.

Si tu n’as pas peur de mourir,

il n’est rien que tu ne pourras atteindre.

 

Tenter de contrôler le futur

est comme tenter de prendre la place du maître charpentier.

Quand tu manies les outils du maître charpentier,

il y a de fortes chances que tu te coupes la main.

 

 

75

 

Quand les impôts sont trop élevés,

les gens souffrent de la faim.

Quand le gouvernement est trop envahissant,

les gens perdent leur allant.

 

Agis dans l’intérêt des gens.

Fais leur confiance ; laisse-les tranquilles.

 

 

76

 

Les hommes naissent mous et souples ;

morts, ils sont raides et durs.

Les plantes naissent tendres et élastiques.

mortes, elles sont sèches et cassantes.

 

Ainsi quiconque est raide et inflexible

est un disciple de la mort.

Quiconque est doux et flexible

est un disciple de la vie.

 

Le dur et le raide seront brisés.

Le doux et le souple prévaudront.

 

 

77

 

Quand il agit dans le monde, le Tao

est semblable à la courbure d’un arc.

Le sommet est courbé vers le bas ;

le bas courbé vers le haut.

Il corrige excès et insuffisance

afin qu’il y ait parfait équilibre.

Il prend à ce qui est trop

et donne à ce qui n’est pas assez.

 

Ceux qui essaient de contrôler,

qui emploient la force pour protéger leur pouvoir,

vont contre le sens du Tao.

Ils prennent à ceux qui n’ont pas assez

et donnent à ceux qui ont déjà bien trop.

 

Le Maître peut donner sans relâche

car sa richesse n’a pas de limite.

Il agit sans attente,

réussit sans le revendiquer,

et ne pense pas être meilleur

que n’importe qui.

 

 

78

 

Rien au monde

n’est aussi mou et fluide que l’eau.

Mais pour dissoudre le dur et l’inflexible,

rien ne la surpasse.

 

Le mou triomphe du dur ;

le souple triomphe du rigide.

Tout le monde sait que cela est vrai,

mais peu savent le mettre en pratique.

 

Ainsi le Maître demeure

serein au sein même de la douleur.

Le mal ne peut pénétrer son coeur.

Parce qu’il a renoncé à aider,

il est l’aide la plus précieuse pour autrui.

 

Les paroles vraies semblent paradoxales.

 

 

79

 

L’échec est une opportunité.

Si tu blâmes autrui,

jamais le blâme ne prend fin.

 

Ainsi le Maître

remplit ses propres obligations

et corrige ses propres erreurs.

Il fait ce qu’il doit faire

et n’exige rien des autres.

 

 

80

 

Si un pays est gouverné avec sagesse,

ses habitants sont satisfaits.

Ils aiment travailler de leurs mains

et ne perdent pas de temps à inventer

des machines pour économiser leur temps.

Puisqu’ils chérissent leur foyer,

ils ne s’intéressent pas aux voyages.

Il peut y avoir quelques chariots ou navires,

mais ceux-ci ne vont nulle part.

Il peut y avoir un arsenal empli d’armes,

mais personne ne les utilise jamais.

Les gens apprécient leur nourriture,

prennent plaisir à être en famille,

passent leur temps libre à cultiver leurs jardins,

se réjouissent de ce que font leurs voisins.

Et même si le pays d’à côté est si proche

qu’ils en entendent les coqs chanter et les chiens aboyer,

ils sont heureux de mourir de vieillesse

sans jamais l’avoir visité.

 

 

81

 

Les paroles vraies ne sont pas éloquentes ;

les paroles éloquentes ne sont pas vraies.

Les hommes sages n’ont pas besoin de prouver leurs dires;

les hommes qui ont besoin de prouver leurs dires

ne sont pas sages.

 

Le Maître ne possède rien.

Plus il fait pour les autres,

plus il est heureux.

Plus il donne aux autres,

plus il est riche.

 

Le Tao nourrit en ne forçant pas.

En ne dominant pas, le Maître dirige.

 

TAO TE KING

LE LIVRE DE LA VOIE ET DE LA VERTU

Traduction Stephen Mitchell